Définir la spiritualité, c’est prendre le risque d’en faire une religion. Le sacré a de ceci qu’il ne devrait être dicté par nul autre que soi-même.
En ce dimanche de soleil, l’urgence me pousse à un essentiel. Dans ce recul dominical que je m’octroie sur les péripéties de notre temps, tandis que j’observe les revendicateurs se prétendre disciples religieux, je remarque les fines couches de glace qui nous retiennent encore de sombrer dans des abysses glacials. Le roc ancestral de nos fondations s’est fait depuis longtemps chewing-gum prémâché collé aux baskets, sans pour autant nous permettre la construction d’un édifice durable. D’aucuns cherchent dans l’urgence un toit sans se soucier du vent de la prochaine tempête qui l’emportera immanquablement.
Ce n’est pas tant les endormis d’une conscience pleine qui me pousse à cet écrit que ceux investi d’une vérité dont ils se servent pour se donner bonne allure. Sur le papier de la religion, tout brille d’un idéal trop vite oublié quand se vient la vie au quotidien, le choix de l’instant, la décision du moment. Tout est pardonné à celui qui croit, pour autant que la timbreuse de l’office religieuse ait enregistré sa présence hebdomatique…
Qu’il est facile d’enfiler les habits du moine pour se rassurer de la validité de son QR-code pour un paradis trop facilement promis. On oublie trop vite qu’il est plus facile pour le chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’au riche d’entrer au royaume des cieux. L’humilité a fait place aux certitudes, l’impalpable s’est noyé sous le savoir. Après tout, nos universités distillent la doctrine, qu’elle soit religieuse ou scientifique. Face à ces nouveaux pharisiens, ne reste que le pauvre pour écouter encore son cœur.
« le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas » a renié avoir dit Malraux. Dans les méandres de notre actualité, il est regrettable que l’une ou l’autre des options se dissimule au bout de chemins tortueux. Pourtant, il n’est de quête plus noble, plus humaine, plus primordiale, que celle de la spiritualité. Loin des croyances et autres dogmes enfoncés, elle est la recherche ultime qui devrait animer le quidam citoyen. Au-delà d’un Dieu barbu et barbant, il est du devoir moral de chacun de n’accepter aucune idée pour se faire la sienne.
Car, définir la spiritualité, c’est prendre le risque d’en faire une religion. Le sacré a de ceci qu’il ne devrait être dicté par nul autre que soi-même. Il est une invitation au confinement intérieur, à la distance sociale, pour se prémunir de la pandémie du prêt-à-croire en doses injectables à intervalles réguliers. La spiritualité, c’est plonger en soi pour y voir le reflet de la multitude des étoiles dans l’univers, c’est serpenter des jardins de soleils en quête du nectar des fleurs éternelles, c’est retourner à la source jaillissante de la vie. Ceux qui en parlent le plus vrai sont peut-être ceux qui ont connu une « expérience de mort imminente », ou NDE pour les intimes.
Cette portion infime de notre populace est réduite au silence, au motif qu’elle n’a plus envie de parler. Les mots sont bien insuffisants à celui qui a été guigner « de l’autre côté », et le prosélytisme n’est plus l’apanage de celui qui en est revenu. Pourtant, ne serait-ce là un réservoir de personnes « éclairées », aptes accidentellement à conseiller en sagesse ceux qui prétendent à notre gouverne ?
Car il est de ceci en commun, dans les cercles des décideurs et autres faiseurs de notre monde, que la médiocrité ne s’établisse en norme universelle, dictée par l’égoïsme de chacun et le conformisme réducteur ambiant. Celui qui encore avait des couilles les a rangés au chaud dans son slip, de peur du rejet des bien-pensants. Quand toute audace peut valoir l’exclusion, on préfère sur ses fesses le rond de cuir au coup de pied. Reste le pauvre, contraint au silence des ordures, lui qui sait mais ne dit plus. Le génie est poussé au mutisme, le savant à se taire, l’illuminé à briller en secret, tandis que se pavane la majorité du riche et des médiocres, imbue de sa science lisse et infuse.
Ce déni de spiritualité, pire encore, ce substitut de spiritualité par religion interposée, m’entraîne dans des abimes de perplexité, me poussant plus encore, en paradoxe sublime, à plus de spiritualité. Du pillage excessif qui a fait notre richesse, qu’elle soit matérielle ou spirituelle, ne reste que ce chewing-gum prémâché dont il devient si difficile de se défaire. Bâtir là-dessus, c’est ravaler ce que d’autres ont déjà recraché, c’est ruminer une recette depuis toujours indigeste ; il est illusoire d’en attendre à terme autre que du faeces.
Peut-être qu’un jour, la mathématique nous révélera l’équation ultime ; peut-être qu’un jour, la science nous éclairera ; peut-être qu’un jour, la NDE, comme l’est devenue l’école, sera obligatoire. D’ici là, c’est à chacun, d’autant qu’il se prétend responsable, de faire face à ce déni, ce déni de spiritualité, cette pandémie qui décime notre humanité.
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