La médiocrité, rampante, s’est immiscée insidieusement dans chaque recoin, comme la rouille vient à bout des meilleurs aciers. La petitesse a imposé par une inertie perverse son nouvel étalon, que nul ne peut désormais plus contester.
Une plaie que ces deux dernières années auront rendue purulente, c’est le règne devenu absolu de la médiocrité. Notre moteur étatique tournait déjà sur trois cylindres, le mettre au ralenti nous a fait sentir son manque systémique de puissance. Nous nous sommes enfoncés dans une spirale vicieuse d’inagilité, tel un trou noir incapable de recracher quelconque résultat tangible.
Au prétexte du télétravail, des absences multiples, des équipes réduites, nous avons pu expérimenter la fragilité d’un système du siècle passé, que dis-je, du millénaire passé, devenu bien obsolète, inopérant. Même le critiquer revient à l’alimenter, à ajouter du bois dans cette machine à peur qu’est devenue notre patrie. Du déni de citoyenneté au procès facile, du broyage administratif à l’omission d’obligation, le moteur ne tourne plus que pour lui-même, sans donner plus aucune puissance à notre véhicule désormais à l’arrêt complet alors qu’il nous faut remonter la pente.
Il est vrai que cette belle carrosserie n’a plus passé de contrôle technique depuis belle lurette. Dans la descente, l’équivalent d’une caisse à savon suffisait. Si la courroie de transmission montrait déjà des signes de faiblesses en arrivant au plat, il ne fait désormais plus aucun doute que la rupture est consommée. Hormis un vacarme coûteux au contribuable, notre beau véhicule n’est plus que bon à rejoindre les antiquités ou la casse automobile. Son immatriculation doit lui être retirée d’urgence.
Il est toujours de ces moments où la question se pose, réparer ou racheter ? Le coût, l’obsolescence, la sécurité, le confort, l’utilité sont des critères qui influencent pareil choix, aussi difficile soit-il. En tous les cas, le déni n’est jamais durable en de telles circonstances, et il faut parfois le verdict sanglant de l’expert du bureau des automobiles pour se résigner à une décision. Mais en matière de politique, d’administration étatique, qui en sera le juge ? Quels sont les signes qui invitent à l’alerte ? Comment renoncer à sa vieille bagnole et dans quel fichu catalogue choisir notre futur ?
La première étape consiste à accepter que notre véhicule ne soit plus de première jeunesse et souffre d’âge et de routes qui ne lui sont plus adaptées. La seconde est de tendre l’oreille aux bruits suspicieux qui pourraient renseigner d’une problématique. La troisième, nécessaire, est la mise sur le « lift » ; du marteau probateur, il nous faut examiner moindre point de rouille, le mettre à l’épreuve de celui qui doit rendre verdict. Enfin, il nous faudra accepter ce dernier, même s’il nous contraint à un changement dont nous nous serions bien passés.
À ceux qui m’opposeront que « tout va bien dans le meilleur des mondes », je demanderai à quand remonte le dernier « contrôle technique ». Jamais, dans l’histoire de notre démocratie, nous n’avons pu réellement constater l’état du moteur. Jamais, dans le passé de notre système, nous n’avons pu concrètement expertiser son rendement effectif. Ceux qui s’y sont essayés ont été soit noyés, soit jetés sur le bord de la route. L’élu conducteur n’a que faire d’un passager turbulent, tout occupé à la route qu’il est…
Alors que sonne l’heure de la « libération », n’est-ce pas opportunément aussi celle des comptes ? Devons-nous attendre de perdre une roue, de finir dans le ravin, de nous prendre un mur pour réagir ? Une entreprise qui ne s’adapte pas, qui ne se renouvelle pas, qui ne se remet pas en question, finit en faillite, en liquidation. Quid de notre sacro-sainte démocratie ? Qui en sera, il le faudra bien un jour, l’exécuteur testamentaire ? Nos funérailles sont consommées, consumées, il est temps de mettre de l’ordre.
Caricatural peut-être, mon propos n’est pas sans fond. La médiocrité, rampante, s’est immiscée insidieusement dans chaque recoin, comme la rouille vient à bout des meilleurs aciers. La petitesse a imposé par une inertie perverse son nouvel étalon, que nul ne peut désormais plus contester. Cette crise n’aura été qu’un révélateur, révélateur du besoin urgent de nous réinventer.
Bien sûr, on pourra sûrement recycler bien des pièces de notre vaisseau amiral, mais on ne pourra faire l’économie intellectuelle d’une rénovation complète de notre bien commun. Attendre en se satisfaisant de l’acquis ne fera qu’en repousser l’échéance inéluctable.J’en appelle ici aux grands esprits, à ceux qui, retirés depuis toujours dans l’ombre des mondanités, ont toujours considéré qu’une inaction valait mieux qu’un militantisme voué à l’échec. J’en appelle ici aux multiples silencieux, à ceux qui, conscients de la vacuité du système, s’en sont retirés pour construire un paradis propre à leur échelle. J’en appelle enfin aux nombreux écorchés, à ceux qui, laminé au pilon du désespoir, ont renoncés à éclairer du peu de lumière qu’il leur reste. La médiocrité ne sera pas vaincue sans sursaut. Son inertie vicieuse ne sera pas arrêtée sans effort. Ses dégâts ne seront pas évités sans prise de conscience. Il en tient à nous de nous réinventer.
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